
OL : Bonjour Jean-François, Capital Grand Est est le seul fonds d’amorçage du Grand Est. Comment ce positionnement unique influence-t-il votre stratégie d’investissement et votre capacité à attirer des startups innovantes dans la région, plutôt que vers Paris ou d’autres métropoles ?
JFR : « Une précision préalable s’impose : dans la région Grand Est, si Capital Grand Est occupe une position largement dominante sur l’amorçage, le fonds FIRA2, géré par Finovam et basé à Lille, intervient également à ce stade.
Notre stratégie d’investissement est avant tout tournée vers l’accompagnement de projets ayant émergé sur le territoire régional. Toutefois, notre expertise reconnue et notre appétence marquée pour les secteurs de la santé — notamment la biotech, la medtech et le diagnostic — nous permettent également d’attirer des startups exogènes en recherche de financements, qui voient dans le Grand Est un écosystème crédible et structurant pour leur développement. »
OL : Vous investissez dans des startups de moins de 8 ans, avec un CA inférieur à 500 000 €, et un ticket minimum de 500 000 €. Quels sont les critères innovants ou sectoriels (ex : santé, medtech, transition énergétique) qui font la différence dans votre processus de sélection ?
JFR : « Il est difficile d’apporter une réponse totalement générique, tant chaque projet est singulier. Néanmoins, notre processus de sélection repose avant tout sur la qualité technologique et le caractère fortement innovant des solutions, des éléments indispensables pour susciter l’intérêt des fonds de capital-risque en Série A et B, ainsi que d’acteurs industriels.
Cela étant, nous ne nous limitons pas exclusivement à des projets dits « deeptech ». Lorsqu’une équipe se distingue par son excellence, sa vision et sa capacité à exécuter, nous restons ouverts à des projets moins technologiques en apparence, dès lors que nous sommes convaincus de leur potentiel de réussite et de création de valeur. »
OL : Vous souligniez que « sans fonds régional, les startups partiraient à Paris ». Comment Capital Grand Est contribue-t-il concrètement à ancrer l’innovation dans le Grand Est, et quels sont les leviers pour éviter la fuite des talents ?
JFR : « Très concrètement, notre capacité à intervenir en tant que lead investor sur des projets issus du territoire, avec des tickets d’investissement significatifs, constitue un levier déterminant pour l’ancrage local des startups.
Cette présence permet d’offrir aux entrepreneurs des conditions de financement comparables à celles qu’ils pourraient trouver à Paris, qui concentre près de 90 % des fonds de capital-risque français, et limite ainsi le risque de délocalisation des projets et des talents hors du Grand Est. »
OL : Vous mentionnez qu’un euro investi par Capital Grand Est en génère deux ailleurs ». Comment cet effet de levier fonctionne-t-il, et quels sont les exemples de co-investissements réussis avec d’autres fonds (ex : Bpifrance, Crédit Mutuel Equity) ?
JFR : « Cet effet de levier repose principalement sur notre capacité à mobiliser des financements complémentaires, tant privés que publics. Sur le volet privé, nous co-investissons avec d’autres fonds d’investissement que nous connaissons bien et qui accordent leur confiance à la qualité de nos analyses. Cet engagement facilite également l’intervention des acteurs bancaires, en capacité d’octroyer des financements sous forme de prêts.
Par ailleurs, nous activons des leviers publics, notamment à travers Bpifrance ainsi que des dispositifs de financement régionaux, nationaux ou européens, via des concours, appels à projets ou programmes dédiés. L’articulation de ces différentes sources permet de maximiser l’impact de chaque euro investi par Capital Grand Est.
OL : Au-delà du financement, quel soutien opérationnel et stratégique apportez-vous aux startups (ex : accès à un réseau d’experts, accompagnement commercial, internationalisation) ? Pouvez-vous citer un exemple où cet accompagnement a été décisif ?
JFR : « Au-delà du financement, nous accompagnons activement les startups en les mettant en relation avec des experts, prestataires et consultants de confiance, reconnus pour leur efficacité et leur performance. Mais notre valeur ajoutée réside avant tout dans notre expérience approfondie de l’écosystème start-up, des levées de fonds et des phases de croissance. Cela nous permet d’adopter une posture de véritable sparring partner aux côtés des dirigeants : être à leur écoute, challenger leurs réflexions et co-construire avec eux les orientations stratégiques les plus pertinentes.
Cet accompagnement peut s’avérer déterminant à des moments clés. À titre d’exemple, lors de la cession de l’une des entreprises de notre portefeuille, nous avons été fortement impliqués dans les négociations avec un acteur industriel du secteur, en contribuant à la préparation des mémos, de la stratégie de cession, des documents supports et en échangeant directement avec l’acquéreur.
Dans un autre cas, et à notre initiative partagée avec l’entrepreneur, nous avons fait le choix de lancer un second produit, plus simple et plus rapide à développer que le premier. Cette décision a non seulement accéléré la création de valeur, mais a également permis de nouer un partenariat stratégique structurant pour la suite du développement de l’entreprise.
OL : Pouvez-vous nous partager deux ou trois « success stories » issues de votre portefeuille (ex : RDS, Dianosic), et expliquer en quoi ces projets illustrent votre approche de l’innovation et du financement ?
JFR : « Sur des projets comme RDS ou Dianosic, notre approche s’est inscrite dans la durée. Nous avons suivi ces entreprises pendant plusieurs années avant d’investir, le temps qu’elles atteignent un niveau de maturité suffisant. Cette phase de préparation était essentielle pour nous permettre ensuite de convaincre des co-investisseurs de nous rejoindre et de structurer des tours de table significatifs, à la hauteur de leurs ambitions.
Parmi les autres success stories de notre portefeuille, on peut également citer Syndivia, une société dans laquelle nous sommes aujourd’hui le seul investisseur. Elle a récemment conclu un accord stratégique dépassant les 300 millions d’euros avec le groupe pharmaceutique GSK, illustrant pleinement notre capacité à détecter, accompagner et financer des projets innovants à fort potentiel de création de valeur.«
OL : Depuis 2021, vous collaborez avec EthiFinance pour intégrer des critères extra-financiers. Comment ces critères ESG influencent-ils vos décisions d’investissement, et quels sont les défis pour les startups en matière de durabilité ?
JFR : « Les startups que nous accompagnons sont, pour la plupart, naturellement positionnées sur des enjeux ESG, qu’il s’agisse de la santé, de la transition énergétique ou plus largement de l’impact sociétal et environnemental. Ces dimensions sont souvent au cœur même de leur proposition de valeur.
Notre action se concentre davantage sur les aspects de gouvernance, où nous jouons un rôle d’impulsion et de structuration, notamment en encourageant l’intégration de membres indépendants, la diversité au sein des instances dirigeantes et des pratiques plus inclusives.
Dans ce contexte, les enjeux de durabilité ne constituent pas un défi majeur pour les startups, dans la mesure où elles naissent et se développent déjà en cohérence avec ces exigences. »
OL : La crise sanitaire a accéléré certaines dynamiques (ex : télémédecine, digitalisation). Comment Capital Grand Est anticipe-t-il les prochaines crises ou mutations (ex : transition écologique, pénurie de talents) dans sa stratégie d’investissement ?
JFR : « Anticiper avec précision les crises reste par nature un défi, tant celles-ci sont souvent imprévisibles. En tant qu’investisseur intervenant dès les premières phases de développement des entreprises et sur des horizons temporels étendus, nous sommes conscients que chaque start-up devra affronter, en plus des risques inhérents à son modèle, une ou plusieurs crises majeures au cours de son parcours.
Notre conviction est que la clé réside dans la capacité des équipes à y faire face : leur résilience, leur agilité et leur réactivité seront déterminantes pour transformer ces épreuves en opportunités. C’est donc sur ces qualités humaines et managériales que nous concentrons notre attention, afin d’accompagner des projets capables de s’adapter et de prospérer, quelles que soient les mutations à venir. »
OL : Quels sont, selon vous, les grands défis pour le Grand Est en matière d’innovation et de financement d’ici 2030, et comment Capital Grand Est compte-t-il y répondre ?
JFR : « À l’horizon 2030, l’un des principaux défis pour le Grand Est réside dans la diminution de l’appétence pour le risquedans l’écosystème de l’innovation. Nous observons une concentration croissante des capitaux entre les mains d’un nombre restreint de fonds d’investissement, dont la taille ne cesse de croître. Or, un fonds plus important ne multiplie pas le nombre de projets soutenus : il investit dans un nombre similaire de dossiers, mais avec des tickets bien plus élevés.
Cette dynamique entraîne une concentration des financements sur un nombre limité de sociétés, qui lèvent des montants substantiels, au détriment d’une diversité de projets prometteurs. Le risque ? Une perte de chances pour des entreprises innovantes, mais moins visibles ou moins matures, qui peinent à accéder aux ressources nécessaires pour se développer.
Face à ce constat, Capital Grand Est s’attache à jouer un rôle clé en maintenant des fonds régionaux de taille intermédiaire, capables d’identifier des opportunités à fort potentiel, de les accompagner dans leur phase de dérisquage, et de les soutenir sur le long terme. Notre conviction est simple : l’innovation ne se limite pas aux licornes. Les PME et start-ups locales, souvent porteuses de solutions disruptives, méritent elles aussi d’être financées et accompagnées pour contribuer à la vitalité économique du territoire. »
Laisser un commentaire